Fin décembre. Après un mois à Apartadó près de la côte Caraïbe à accompagner "la abuelita", je décide de prendre une semaine de vacances avant de revenir pour le réveillon du 31 décembre. Objectif : Medellín et ses alentours.
Je pars en bus le 22 au matin et arrive à Santa Fe de Antioquia en fin d'après-midi. Avant le départ, j'avais déjà un pressentiment du type "je sens que je dois partir dimanche". Je descend du bus et me dirige au centre-ville. Toutes les rues sont maculées de blanc et pourtant il fait une chaleur étouffante... Que se passe-t-il ? J'avance, surprise, et observe la multitude de personnes qui m'entourent : elles sont toutes recouvertes de farine! J'entends de la musique, me retourne : il y a un défilé de personnages déguisés. Mon pressentiment se confirme, aujourd'hui c'est l'ouverture d'une des plus grande festivité de la région d'Antioquia : la fiesta de los diablitos ! Je jubile, et plus encore lorsque je vois la scène montée sur la place centrale. J'entends une annonce : "ouverture de la fête des petits diables, ce soir c'est concert jusqu'à 4h du matin!". Je suis la plus heureuse et cherche rapidement un logement pour déposer mon sac et profiter au mieux de ce cadeau d'anniversaire déposé sur ma route. Merci la Bonne Etoile, je ne pouvais espérer mieux!
L'ambiance et les rencontres à Santa Fe sont telles que je décide de rester une nuit de plus. Je repars le 24 à Medellín où m'attend un ami rencontré lors de mon premier passage dans cette ville à "l'éternel printemps". Je sourie au menu du soir : habichuelas (haricots rouges) aux andouillettes, tout ce que je déteste! Heureusement, je ne fais plus cas des fêtes de Noël depuis de nombreuses années.
Le reste de la semaine, je m'atèle donc aux visites de la ville. J'ai la chance d'être accompagnée de Jairo, un professeur de l'université d'Antoquia, qui me prodigue de précieuses informations sur la Colombie : la guérilla, née des campagnes, qui souhaite retourner le gouvernement ; les narcotrafiquants, en ville, qui paralysent et angoissent les quartiers ; le gouvernement qui s'enrichie de la situation ; les paramilitaires qui terrorisent les habitants... Circonstances pas toujours évidentes à comprendre, je fais au mieux pour saisir ces conflits qui gangrènent encore aujourd'hui le territoire.
Au fil de jours, je visite donc la Zona gobernamental ; el Parque de los pies descalzos (le parc des pieds nus où je me sens évidemment particulièrement à mon aise) ; le Pueblito Paisa, reproduction des villages typiques de la région d'Antioquia et le Teleférico qui relie les quartiers pauvres perchés en haut des montagne au siège de la ville. Je termine le tour par la Comuna 13, quartier emblématique de Medellín qui a su - en apparence - s'extirper d'une violence quotidienne grâce à l'art, la culture et le tourisme.
Nous partons donc tôt le matin avec mon guide improvisé. Métro, téléphérique, bus de quartier pour touristes. Nous arrivons et cherchons un guide local pour nous expliquer le quotidien de cette communauté, avant et après l'aménagement de la zone. Nous nous attendions à une explication à laquelle nous donnerions un pourboire, selon notre gré. Que neni! Le jeune homme en face de nous nous débite un discours rodé, répété et poli pour nous signifier que le tour coûte 30 000 pesos par personne... Qué ??!! L'équivalent de 8€ environ, soit presque 20€ à nous deux. Mince! Mais où sommes-nous? Dans un quartier réhabilité ou en pleine industrie touristique ?! La question se pose et nous laissons là le jeune homme. Pour le tour, nous suivrons nos pas, Jairo connait suffisamment l'histoire de la Commune de toute façon.
Ainsi nous entamons l'ascension du quartier parsemé de graffitis, attraction censée relever une des parties les plus violente de la ville, voire du pays. En effet, les dessins sont extraordinaires et animent de couleurs flambantes cette zone d'ombre de Medellín. Nous arrivons aux escalators. Jairo m'explique l'organisation de la ville, entre nord et sud, orient et occident, qu'un système particulièrement efficace de transports publics tente de relier. Ainsi, la Colombie se démarque par sa capacité à transformer des transports habituellement touristiques en transports publics comme, par exemple, les téléphériques qui rattachent centre-ville et zone enclavées, ou encore ces escaliers mécaniques qui permettent aux habitants de circuler plus aisément.
Nous montons donc. Autour de nous, peaux blanches, appareils photos, odeurs de crème solaire, langues étrangères... Mais où sont les locaux censés utiliser les escalators ? A chaque étape, de nombreuses boutiques proposent reproductions des muraux, T-shirt de la Comuna 13, cartes postales, petits livrets sur l'histoire de la commune. Moi qui m'attendais à un quartier retiré, nous voilà plongées en pleine logistique touristique ! Un peu plus loin, nous assistons à des performances de hip-hop (j'aperçois une fille au milieu d'une dizaine de gars, mon cœur sourit).
Nous montons encore et nous atteignons ce qui semble s’apparenter au sommet. Jairo propose de faire une pause et de goûter la bière locale. 10 000 pesos ! Il affiche un air contrarié, mais si cette même bière coûte au maximum 6 000 pesos habituellement ! Ah, mais on est dans un attrape-touristes en fait, on ne nous avait pas prévenus... Alors c'est ça, la solution pour sauver la communauté ? La transformer pour accueillir un tourisme de masse et en tirer profit, comme n'importe quelle place soumise aux étrangers soit-disant bourrés de fric?!!
Avec Jairo, nous déchantons. Ce n'est pas du tout la vision que nous avions du lieu, que nous avons eu l'innocence de croire encore authentique... Enfin. Il faut bien se résoudre à l'idée, où le tourisme passe, l'authenticité trépasse. C'est ainsi. Nous souhaitions déjeuner dans la comuna 13, mais vu la tournure des événements, nous descendons dans le quartier réellement populaire pour déguster una bandeja colombiana (soupe+riz+viande+haricots en sauce+salade+jus de fruit naturel) pour à peine 6 000 pesos...
Conclusion ? Oui, le quartier est joli. Oui, les jeunes du quartiers ont désormais une autre alternative pour gagner leur vie. Oui, les étrangers peuvent pénétrer une zone précédemment de non lieu. Mais, comme bien souvent, cela n'est que façade. Les "frontières invisibles" demeurent et, à peine sorti de la zone touristique, on sent une forme de désolation et d'abandon. Mais ça, les touristes perchés sur leur escalier mécanique (à se demander pour qui, réellement, il a été construit), ne peuvent le voir...
Nous rentrons avec Jairo et nous donnons rendez-vous pour un dernier tour le lendemain.
De retour à mon logement, je capte une information à la télévision d'une cafétéria :
"Meurtre d'un garçon de 17 ans dans la Comuna 13, règlement de compte..."
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