Sous les pieds le sol est brûlant, sur les épaules le soleil pique. A La Réunion, lorsqu’on emprunte un champ de canne, il vaut mieux regarder l’heure. Ou alors bien observer le soleil…
Aujourd’hui il chauffe mais cela fait du bien. Après une véritable saison cyclonique, le chemin Canal, entre la Ligne des Bambous et la Ligne des 400, est bien gaillar. Les cannes sont hautes, les ravines propres et… Propres? Point trop n’en faut. Certes Dumilé et Felleng, les deux cyclones du mois de janvier ont bien fait leur travail mais…les poubelles réapparaissent ça et là comme par enchantement. Et le ciel immaculé ne peut camoufler les sacs éventrés, les carcasses de voitures, les pourritures…
Le regard se détourne vers l’horizon, immuable heureusement. Enfin presque. La semaine dernière la ville de Saint-Pierre apparaissait en contrebas. Aujourd’hui, c’est vue sur pieds de cannes. Autant dire sur rien. Tant pis, un peu plus loin la vue se libère. C’est juste après le nouveau champ de panneaux solaires ouvert il y a un an. Il y en a de plus en plus sur l’île. Avance-t-on vraiment vers une ère écolo? Je ne sais pas et la pancarte « Ne pas entrer – Danger de mort » me fait froid dans le dos.
Nous arrivons au champ de fruits de la passion, c’est le signal. A droite s’étalent tels des raisins d’Atlantide des grappes de passion suspendues. Grosses. Encore vertes. Alléchantes. A gauche l’Océan Indien. Bleu et turquoise. En face les dents ciselées des montagnes: le Dimitile, le Maïdo, le Piton des Neiges. L’esprit s’apaise. Quand mer et montagnes s’allient. La mer est belle au loin, et la montagne aussi.
Et de loin c’est bien, on ne voit pas les ravines, on ne voit presque pas la ville. On ne voit pas les cadavres glissés dans l’eau, ni les ordures, ni les batteries, ni les autos,ni les bouteilles, ni les plastiques,ni les sacs. Oui, les ravines sont propres aujourd’hui. Et de loin c’est bien. De loin, on ne voit pas le drapeau rouge sur la plage, on ne voit pas la mer polluée. De loin c’est bien. De loin, face à la mer ou face à la montagne. Car la montagne est belle aussi. Elle scintille et se dévoile, verte et saillante. De loin je la vois, forte, imposante. Mais de loin, je ne vois pas le ti coq se faufiler sous les arbres, quatre tangues dans la main, ni le boug terla soigner son pied de zamal, ni le gramoun chercher des feuilles pour la tisane…
Non, de loin je ne vois pas tout ça. De loin, je vois la ville qui grignote chaque jour un peu plus de terrain. De loin, je vois les immeubles parsemer la plage et les voitures envahir le paysage. Je pense à Mayotte aujourd’hui. Je pense à La Réunion lontan, il y a dix ans. Et je vois, au loin. Mais en réalité je ne vois rien. Le regard se ferme et le corps respire, la mer est paisible, le ciel voilé, il pleut. Il est temps de partir.
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