Témoignage rédigé dans le cadre d’une analyse portant sur le jeune public : "Pédagogie Montessori et Enseignement/Apprentissage d’une langue étrangère : vers une convergence didactique".
Les élèves entrent, disent « Bonjour tout le monde ! », inscrivent leurs noms dans le cahier de présence, déposent leurs sacs, sourient. Voilà comment débute une journée au Club de français de Toliara.
Ensuite, ils ont le choix : lire ou feuilleter un ouvrage dans la bibliothèque (soigneusement sélectionnée en fonction du niveau et intérêts des apprenants) ; initier un jeu de société ; intégrer un groupe déjà actif (les animations qu'on organise permettent en général l’intégration de nouveau participants au fur et à mesure) ; dessiner ; discuter ; approfondir ses connaissances linguistiques (avec des ouvrages grammaticaux et méthodes de français, des jeux de français , de courtes leçons ludiques et expressives avec l’animatrice) ; ou autre, selon leur proposition…
Il est vain de vouloir préparer des cours à l’avance (l’expérience a montré le contraire) : il s’agit d’être réactives et de proposer des activités en accord avec les besoins/envies immédiates des apprenant@s. Afin d’optimiser ce type d’apprentissage « improvisé », il est donc impératif de posséder un stock de matériel déjà prêt et adapté : pour tous niveaux et à travers différents supports didactiques.
Lorsque les apprenant@s sont en quête d’informations, loin de leur apporter des réponses toutes prêtes, on les oriente toujours vers des outils de réponses (demander à la classe, dictionnaires, revues avec images etc…).
Ambiance du Club
Le climat du club participe beaucoup à l’apprentissage des élèves. Contrairement à l’ambiance-classe où la hiérarchie professeurs-élèves est très marquée, au club, tout le monde danse sur un même pied d’égalité ; on participe tou·tes de la même manière. Cet esprit correspond à celui des « foyers » dans les collèges ou lycées français. Ce climat de détente, de jeux et d’amusement casse plus facilement le principal obstacle des élèves : la peur de parler. Car l’acte de parole arrive bien souvent de façon involontaire lors d’un besoin pressant de s’exprimer. En outre, ce club s’attache tout particulièrement à instaurer une équité fille-garçon : tout le monde participe aux activités sans distinction de sexe (surtout en ce qui concerne le ménage… !) et de nombreuses discussions et réflexions amènent à reconsidérer des schémas misogynes préétablis.
Ouverture au monde
En ce qui concerne l’ouverture au monde, le club fonctionne de manière évolutive : d’abord la région, puis le pays, ensuite l’Océan Indien, enfin le Monde. Néanmoins, on fait souvent appel à des documents faisant référence à d’autres cultures (le film Baraca est un excellent support didactique et propose un terrain propice à de multiples activités linguistiques : description, hypothèses, religions du monde, mondialisation, traditions, lexique de la faune, géographique…). On essaye aussi, tant faire se peut, de créer des liens en-dehors du lycée : avec les autres établissements scolaires, les centres culturels et d’établir une interaction et un échange avec d’autres élèves et personnes connues des environs. Un autre point : l’intervention régulière de francophones. Le but : que les élèves croisent diverses personnalités, chargées de cultures, points de vue et accents différents tirés de leur bagage personnel.
Travail collaboratif
Ce climat est également basé sur la confiance et sur le travail collaboratif. Celui-ci est particulièrement sollicité lors événements à grandes échelles comme l’organisation des fêtes de fin d’année par exemple. La participation annuelle à la Compétition Nationale de Français dans le domaine du théâtre en est l’exemple le plus marquant : ce projet fait appel non seulement à la créativité des apprenants (écriture et réalisation d’une pièce de théâtre ; conception et création des costumes et décors) mais aussi à leur esprit d’équipe, d’initiative et d’autogestion tout en développant toutes les compétences linguistiques (lire, écrire, parler, écouter). Il est d’ailleurs incroyable de voir le potentiel artistique d’une part, de ces jeunes, mais également leur potentiel d’autonomie (que les enseignants traditionnels bien souvent leur refusent).
Création de matériel spécifique
Comme précisé un peu plus haut, il nous a fallu créer du matériel adapté. Tout d’abord car le club était vide ( !!!), deuxièmement car il n’existe pas de matériel fle à Toliara. Voici quelques exemples de matériel « fabriqué maison » :
Le Sakamo : une pochette avec une centaine de mots découpés et plastifiés selon un code de couleurs (ex : rouge les verbes, bleu les noms communs, jaune les adjectifs…) => ce sac est à usage multiple : épeler, mimer, dessiner, construire des phrases, ateliers d’écriture etc… ;
Le Sakaimages : boîte avec des images découpées dans des magazines et plastifiées (images de la vie quotidienne, d’objets, de paysages, d’art => description, comparaison, ateliers d’écriture, raconter des histoires… ;
Question pour un champion-Langue Française : questions sur la conjugaison, la grammaire, l’orthographe et le lexique français ;
Question pour un champion – Madagascar ;
Les dés de conjugaison : un dé avec des verbes, un dé avec des temps à conjuguer, un dé avec les pronoms personnels.
Quelques exemples d'animations
Dictées collectives au tableau : un@ apprenant@ lit, un@ écrit, le groupe corrige ;
Jeu du baccalauréat-Langue française : verbe, nom commun, adjectif, synonyme etc... ;
Jeux de rôles ;
Ateliers d’écriture : acrostiches, poèmes, slam… ;
Activités physiques/expressives : danse, chant, théâtre, cirque…
Ceci ne représente, bien évidemment, qu’un bref aperçu de l’ensemble des activités menées durant ces deux années. Remarque : le matériel le plus adapté à ce public n’est autre que nos livres jeunesse (avec un point d’honneur pour les J’aime lire !). Par la même, les exercices de langues françaises éventuellement utilisés se basent souvent des leçons de jeunes enfants.
Valorisation du travail des élèves
Il va sans préciser que tout travail fourni par les élèves est valorisé et conservé : cahier de récits (avec toutes les productions écrites des apprenants), affichage au mur des dessins ou poèmes, organisation événements mettant en avant leurs talents (expositions, représentations événementiels artistiques…)
Méthode immersive
En ce qui concerne la langue, il a été décidé de procéder par immersion linguistique : dès qu’un pied est à l’intérieur du club, toute interaction verbale doit se faire en français ! Cela n’est pas évident à mettre en place mais porte rapidement ses fruits. Une fois l’automatisme intégré, les élèves se prennent vite au jeu et communiquent de plus en plus. Finalement, @ls apprennent sans savoir qu’ils apprennent. Les professeur@s ont d’ailleurs rapidement remarqué une progression dans les classes, notamment la diminution de la peur de prendre la parole en français.
Approche contextualisée
Un autre aspect important de la pédagogie développée dans ce club : sa contextualisation autour de Madagascar. Nous apercevant que nos références occidentales étaient totalement inadaptées à des apprenant@s grand débutant qui, pour la plupart d’entre eux·elles n’ont pas d’eau courante, pas d’électricité et ne mangent pas toujours à leur faim…. Ceci freine et complique incontestablement l’assimilation de la langue (l’esprit cherche à comprendre un concept inconnu au lieu de se concentrer sur la langue ou l’activité). On a donc entamé un processus de contextualisation des animations. Les exemples qu’on emploie sont tirés de références malgaches (on ne parle pas de bœuf mais de zébu, on évoque les cyclo-pousses, les pirogues, le climat désertique etc… en nous appuyant sur les traditions locales, les habitudes alimentaires, quotidiennes et culturelles). Toute activité ou conception de matériel fait référence à des éléments socioculturels malgaches (faune, traditions, artistes, musique, géographie, histoire…). C’est d’ailleurs le sujet de mon stage : la conception de matériel spécifique à Madagascar.
Objectifs
Notre objectif dans tout ça ? Maintenir l’attention des élèves. Susciter leur intérêt pour leur donner envie d’apprendre. Révéler leur potentiel artistique. Notre point de départ : qu’est-ce que les élèves aiment faire ? Qu’est ce qui les stimule ? Et on tente de recréer ce contexte de stimulation pour chacun@ des étudiant@s.
Pour finir
Cette expérience professionnelle a été une révélation pour moi : me pensant piètre pédagogue, je me découvre (peut-être ?) un talent caché car je baigne dans cet univers tel un poisson dans l’eau. Pour l’anecdote, c’est dans la continuité de cette expérience (afin de pouvoir signer pour une troisième année) que je me suis inscrite en master fle… Finalement j'ai appris à mettre des mots académiques sur des activités menées jusqu’alors par instinct. Rien n’arrive par hasard et, comme dirait peut-être Maria Montessori, il suffit de saisir le bon moment…
Natacha Berkovits - avril 2016
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