Contexte du départ:
Premières vacances de février depuis le début de mes études en 2001. Je suis en Master 2, mon mémoire stagne, j'ai besoin de me changer les idées. On décide de partir au Maroc avec ma meilleure amie Elsa.
L’idée: partir en voiture - traverser l’Espagne - prendre le bateau - découvrir cette terre qui nous appelle depuis si longtemps. Objectif: aller le plus au sud possible… Temps imparti : 15 jours.
Deux semaines avant de partir, on appelle un ami, Pierre, qui revient tout juste de La Réunion. Il est d'accord, il partira avec nous. 12 février : anniversaire d'Elsa, nous fêtons ses 25 an.
13 février : top départ! A trois dans la super clio rouge, nous partons en expédition au Maroc…
Port d’Algeciras, 13 fév 2007 Il est midi et demi, nous attendons l’embarquement. Nous avons les billets, les passeports sont contrôlés, nous sommes en attente… Elsa et Pierre jonglent près de la voiture, le soleil cogne, le ciel est magnifique et dans quelques heures à peine nous serons au Maroc! Tout s’est parfaitement enchaîné et je suis si contente de partir, cela fait si longtemps que j’attends ce moment! Et ça s’approche, ça s’approche… Pierre est en tongs, moi pieds nus. Ça sent les vacances…
Assilah, 13 fév 2007 Chez Abdel. Avec un mauvais tajine sur la table. C’est notre premier tajine au Maroc mais je sais qu’il est mauvais. Je n’aime pas les rabatteurs. Alors je m’isole, sur le toit face à la mer. Je ne sais pas pourquoi je ne me sens pas bien. Un goût amer dans la bouche. Est-ce dû aux femmes voilées qui longent les murs dans la rue ? Ou plutôt à l’impression très désagréable de nous faire déshabiller du regard avec Elsa ? Je ne sais pas… Mais je ne me sens pas bien. Vide. Vide et doutes.
Azzemour, 16 fév 2007 Nous cherchions un hôtel pour dormir et nous voilà chez Aisha depuis deux jours… Aisha ou l’accueil marocain dans toute sa splendeur. Aisha est une jeune femme moderne du Maroc qui ne porte le voile qu’en famille et qui travaille dans une blanchisserie. Chez elle, dans un petit appartement à deux chambres où vivent sa mère, son frère et sa femme, sa sœur et elle-même, nous nous sentons comme des petits rois choyés et gâtés. Tajines succulents (petite pensée pour Abdel), couscous, thé à la menthe, beignets… Les filles m’appellent en cuisine et me montrent. La semoule, longue préparation dédiée à la mama assise à terre les jambes écartées, couper les légumes, carottes, courge, oignons, courgettes, la viande… Et le thé à la menthe aussi, faire bouillir l’eau, rincer le thé, mijoter, ajouter la menthe, l’absinthe, aérer, servir… Mmh… C’est un petit bout de vie partagé, un petit bout avec la famille d’Aisha…
Sur la route, vers le sud, 17 fév 2007 Pierre a pris le volant ce matin mais il me le passe assez rapidement. Elsa somnole à l’arrière. Nous roulons en direction de Marrakech mais l’idée de la ville, du monde ne nous plait guère et nous préférons ne pas nous y arrêter. Nous traversons néanmoins cette cité pleine de vie, de couleurs, d’odeurs, de sons, de chaleur et de touristes. Le hasard et le manque de panneau nous fait passer près du palais royal, de la mosquée et du souk. Cela est largement suffisant et nous nous échappons dès que nous pouvons pour déguster un bon tajine plus loin sur la route. L’après-midi s’annonce belle et chaude… Nous nous engageons sur la route du col du Tichka. Cette route, si belle, m’ôte l’encre de la plume. Je sais, à mon grand désarroi, ne pas avoir les capacités, la magie (encore), pour décrire un paysage aussi beau, une terre si forte. Les images se bousculent, des phrases cherchent à se former, mais aucune n’est à la hauteur de la magnificence de la vue que nous offre le Haut Atlas. Les mots arrivent pêle-mêle, s’entrechoquent, mais ne s’accordent pas aux nuances de la terre, ils reculent au contact du papier et préfèrent ne pas être déposés, par respect envers cette beauté unique qu’ils craignent profaner en ne sachant, fidèlement et précisément, par le verbe la restituer. Je ne pourrais que préciser la couleur chaude du soleil qui déposait des rayons couchant sur le flan des montagnes colorées. Une teinte inédite qui ravive n’importe quel endroit, une chaleur qui surdimensionne n’importe quelle terre. Je demeure bouche bée, Pierre en a le souffle coupé. Une énergie nouvelle a pris possession de moi au volant, je roule depuis le matin mais ne ressens aucune fatigue. L’horizon défile sous la voiture et je ne peux m’arrêter, désirant filer plus loin encore, jusqu’au bout de ces rayons aux fils d’or au loin clairsemés. Il nous faut trouver un endroit pour dormir avant la nuit. Mais la route nous appelle, nous indique véhément de la suivre, les rayons jaunes et brillants s’étendent droit devant nous et balayent l’horizon, comme pour retirer tout contre temps à notre traversée, nous permettant ainsi d’avancer, de toujours avancer. Nous apercevons parfois une auberge, un gîte, un hôtel sur une route, plus loin. Nous nous regardons avec Pierre et, d’un même accord, d’une même voix, nous décidons de continuer, sans savoir pourquoi. La nuit tombée et le paysage éteint n’attirant plus les roues de la voiture, je me gare à une auberge au bord de la route. Notre dernier espoir en quelque sorte. Elle est bien, propre et hors de prix. Nous reprenons la route, dans le noir complet cette fois et avec pour unique information « prenez la première route sur la gauche, elle mène à un petit bled, il y a un peu de touristes là-bas, il doit y avoir des hôtels…mais je ne pense pas que vous trouverez moins cher! » Tu parles… Je reprends le volant, attentive à toute bifurcation. Quelques minutes plus tard, une route sur la gauche. J’y fonce et ralentis doucement. Je ralentis, ralentis encore, ralentis un peu plus, jusqu’à atteindre l’arrêt presque total, la voiture commençant à monter et descendre un peu trop dangereusement. J’entends à l’arrière: « Eh! Oh! Attention! C’est pas un 4×4 ma voiture! » E. ne croit pas si bien dire… J’avance au ralenti. Elle s’exclame à nouveau: « Nat, attends, il y a un rasta man qui nous court derrière! ». Je m’arrête cette fois définitivement. En effet, un bonhomme avec un turban dont je ne distingue pas la couleur sur la tête court après nous en nous faisant de grands signes. Il arrive à notre hauteur, il semble jeune, une vingtaine d’années tout au plus: « Salam marikum… vous vous êtes trompés les amis, c’est la piste des 4×4 ici, la route pour Atendou c’est un peu plus loin, par là-bas…! ». Nous discutons rapidement, il y allait, justement, à Abtadou… où il pouvait aisément nous aider à trouver un endroit pour dormir selon nos moyens…ouf! A partir de ce moment-là tout s’enchaîne sans que nous puissions comprendre, réellement, ce qui nous arrive. Notre sauveur, du nom de Slimane, nous amène d’abord à un hôtel à l’entrée du village – dont je n’ai toujours pas bien saisi le nom. Nous payons pour une chambre de trois personnes avec douche chaude le dixième du prix annoncé pour une seule personne à l’auberge où nous sommes passés quelques instants plus tôt. Slimane nous invite à le rejoindre dès que possible car il sera avec des amis pour « faire la musique, boire le thé, bronzer la tête et tout qu’est qu’il faut! ». Un peu plus tard, sur la terrasse de l’hôtel, nous rencontrons Mohamed, Jawad et le gimbri, Hassan et le banjo, Simo, Najid et d’autres qui nous rejoindront un peu plus tard dans la soirée, avec d’autres instruments. Ils nous invitent à les suivre. La nuit est noire. Sans lune, sans étoiles, nous ne voyons pas à un mètre. Nous marchons, pressés, derrière les pas de nos nouveaux hôtes. Nous traversons le village jusqu’à atteindre une rivière qu’il nous faut traverser sur des sacs de riz. Je m’étonne qu’aucun de nous trois ne se retrouve le cul dans l’eau… Nous apercevons comme une colline en face de nous, sans pour autant en distinguer les contours. Nous traversons la rivière puis nous nous engageons sur un chemin qui rejoint cette colline, nous entrons dans une sorte de petit hameau. Nous ne discernons que les murs en terre sèche, le chemin se rétrécissant parfois au point de se retrouver coincé entre deux parois, et nous, nous montons, montons, sans savoir où nous allons, suivant des marches de pierres et de terre, passant sous une petite voûte où le noir se joue de nous en nous plongeant dans une obscurité encore plus profonde, et nous montons, montons…jusqu’aux dernières marches qui nous placent face à une petite porte en bois avec une grosse serrure de fer. « Entrez, attendez… » Une bougie, deux. Nos yeux se dilatent, ébahis: nous sommes dans la caverne d’Ali Baba. Des bijoux, des tajines, des poignards, des tableaux, des tapis, des théières, des foulards, des verres, des instruments… Un véritable sanctuaire aux mille merveilles. Tout le monde s’installe, et nous entrons sur le chemin des étoiles du désert, ce chemin si vaste et lumineux, issu d’un ailleurs lointain et prodigieux. Nous entrons dans une autre dimension, dans un autre monde, bercé par le son languissant du gimbri, rythmé par les castagnettes, et suivis par le banjo, la derbouka, les percussions et les mains. Tout le monde participe, nous ne comprenons rien, ni au langage ni aux rythmes africains, mais nous nous envolons, sur le tapis des mille et une nuits, sur le tapis volant d’Ait. Une nuit fabuleuse. Une nuit que je ne croyais exister que dans les films… Nous avons atteint le cœur du voyage, nous sommes au cœur du Maroc.
Ait Ben Haddou, 18 fév 2007 10h, réveil étonné… Avons-nous rêvé ? Où sommes-nous ? Etait-ce la réalité. Oui, c’est bien la réalité : Jawad nous attend dans la salle du petit déjeuner. Nous préparons nos affaires et le suivons. Avec Mohamed, ils nous proposent le gîte dans leur petite boutique. Nous traversons le village. Comment dire, comment expliquer ? Hier, il n’y avait pas âme qui vive et la nuit enveloppait tout d’un voile obscur. Aujourd’hui c’est grand soleil et la vie, les petites bâtisses en terre sèche rouge, les ruelles de la même couleur, les petits commerces, les boutiques pour touristes et le défilé permanent de ces hauts hommes en turbans bleus, noir ou blanc. Nous sommes émerveillés, étonnés. Quelle surprise… Nous arrivons à la rivière. Celle que nous avons traversée cette nuit sans rien y voir. Nous levons les yeux. Et… Nous retenons notre respiration. Se dresse là, face à nous, de l’autre côté de la rivière et des sacs de riz, glorieuse et impériale, la kasbah d’Ait Ben Haddou. Nous avons passé la nuit dans un château… Incroyable
Ait Ben Haddou, 18 fév 2007 C’est un petit coin coloré. Coloré comme le cœur des gens qui l’habitent. Une couleur chaude et pleine d’espoir qui aspire au bonheur et à l’amitié. Sur cette terre, il y a de Grands Hommes…
Ait Ben Haddou, 19 fév. 2007 Nous sommes toujours au même endroit, nous ne pouvons plus repartir. Le bien-être est trop grand. Le temps est arrêté. Il n’y a pas d’hier ni de demain. Les journées défilent et s’immobilisent à la fois. Plus de temps.
Sur la route du retour, 21 fév 2007 Nous sommes partis. Partis. Nous avons quitté Slimane, Mohamed et Jawad. Nous avons quitté la kasbah, les tajines épicés, le thé, les veillées musicales, les journées avec Mr Tranquille. Oh comme c’est difficile… Tout est encore là, devant moi, la vue magnifique et apaisante, les journées au temps suspendu, toutes ces personnes qui nous ont accueillis et dont nous avons tant à apprendre. Et nous sommes partis. Fini le désert, fini le monde berbère…
Meknès, 22 fév 2007 Médina de Meknès. Elsa se repose à l’hôtel, nous descendons nous promener avec Pierre. Il est tard. Nous longeons l’avenue bordée de salons de thé et de stands de nourriture (boulettes de poissons, sandwichs, keftas…), une avenue remplie d’hommes. Il y a beaucoup de monde, des rabatteurs s’agglutinent autour de Pierre. Alors nous pénétrons la médina où les murs encore animés ne tarderont pas à se tranquilliser. Nous croisons quelques personnes, quelques boutiques encore ouvertes. Avec Pierre nous apprenons à nous connaître et nous parlons, parlons… Nous ne remarquons plus vraiment ce qu’il se passe autour de nous. Les rues peu à peu se vident mais nous n’en faisons cas car avec Pierre, nous parlons. Petit à petit notre promenade qui s’étale dans le temps ne côtoie plus aucune boutique, plus aucun stand, plus rien, elle nous fait déambuler au sein d’un labyrinthe aux couloirs vides et de plus en plus sombres. Nous ne nous en rendons pas compte car avec Pierre nous parlons, parlons… jusqu’à ce que le silence atteigne complètement nos oreilles, et l’obscurité nos yeux. Nous nous arrêtons, nous dévisageons. Nous sommes, de toute évidence, perdus. Petit resserrement au ventre furtivement contrôlé. Nous continuons, discutant mais aux aguets. Nous arrivons à une place déserte plongée dans l’obscurité la plus complète. Pas un bruit, pas âme qui vive, le silence est complet. Je commence à ressentir l’heure avancée de la nuit. Un tintement de poubelles, c’est un chat qui cherche à se nourrir. C’est le seul bruit qui anime ce lieu par trop vide. Nous faisons demi-tour, et nous faufilons à travers les ruelles sinueuses et sans lumière. Une boutade de Pierre me fait respirer. Je mets mon GPS automatique en route, je pense à la façade de l’hôtel où Elsa nous attend. Je n’ai aucun sens de l’orientation, il est vrai. Mais je suis mes pas, et ils me ramènent, toujours, chez moi. Je me laisse aller et renoue la conversation avec Pierre. Nous parlons, parlons… Nous jetons un coup d’œil un peu plus perçant de temps à autre, nous essayons de repérer un quelconque élément déjà croisé. Il se fait tard, mes jambes le ressentent. Elles vont, automatiques, l’une devant l’autre, tournant tantôt à droite, tantôt à gauche, peinant lorsque des marches s’interposent. Nous regardons sans voir, écoutons sans entendre, parlons sans comprendre. Nous suivons nos pas… Oh, qu’est-ce, au loin ? Oui, ça bouge, des lumières… Des voitures ! Nous avançons d’un pas plus assuré. Oui c’est bien cela, nous venons de rejoindre la rue principale… Et maintenant, à droite ou gauche ? Je regarde en face de moi : la façade de l’hôtel. Merci.
Tanger, 23 février 2007 Quel voyage mes amis… Stimulant. Et qui nous aura fait pousser des ailes l’espace de quelques jours. Que du bon… Encore un voyage riche en émotions, en rencontres, en terres insolites. Totale déconnexion, complète coupure. Le temps suit le rythme du corps, et celui-ci le rythme des étoiles. Il va comme guider vers de nouvelles aventures, vers de nouveaux horizons. Sûr de lui il absorbe tout ce qui l’entoure, puise du vent et de la terre l’énergie pour toujours suivre son chemin en avant, aucun retour en arrière n’est possible. Ses pas l’emmènent, et il les suit, heureux. Voilà ce qu’il s’est passé ces dix derniers jours. Plus de temps, plus d’argent, plus de cerveau encombré. Il y avait nous. Simplement nous. Nous et la magie du désert. Allah Hamdullilah.
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